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L'industrie du troisième millénaire

  in Actuamedia, N°522, 16 novembre 2001

 

 

Thierry Ehrmann, fondateur du Groupe Serveur :
« Il faut renouer avec le risque et la critique : aujourd'hui à force de policer le débat, on fait attention à ne pas employer de superlatifs, afin de ne choquer personne. »

   

Nutrisco et Extinguo

"Il faut renouer avec le risque et la critique : aujourd'hui à force de policer le débat, on fait attention à ne pas employer de superlatifs, afin de ne choquer personne.

 
Thierry Ehrmann : "Ce n'est pas parce que l'histoire s'emballe et que la grille de lecture peut paraître simple, qu'il ne faut pas aller là où il n'y a pas forcément de lumière."
 
Thierry Ehrmann : "L'effondrement des Bourses est la conséquence de l'UMTS."
 
On dit tout et n'importe quoi sur Thierry Ehrmann. Certains le qualifient de nouveau milliardaire rouge parce qu'il affiche les portraits de Mao et de Lénine dans son bureau, d'autres le présentent comme un jouisseur sans complexes, qui ne cache pas le fait de vivre avec ses deux compagnes dans un château des environs de Lyon, enfin on lui colle même l'étiquette de militant d'extrême gauche, en raison de deux ou trois phrases sorties de leur contexte. Bref, Thierry Ehrmann est à la fois l'homme le plus célèbre et le plus mystérieux de l'univers de la nouvelle économie. En réalité, une longue conversation avec Thierry Ehrmann permet de comprendre que ce philosophe, passionné d'ésotérisme, de culture et de science politique, tente de comprendre en permanence notre monde. Cet homme, à travers le Groupe Serveur (Artprice.com, Le Serveur Judiciaire, Cybermark, Accès Internet...), pèse plus de 900 millions de francs et contrôle l'une des premières banques de données mondiales. Il vient de lancer un magazine "culturel grand angle", baptisé Alors, qui se positionne comme un mensuel haut de gamme et élitiste. Il est rare que Thierry Ehrmann, qui sélectionne rigoureusement ses interviews, accepte de s'exprimer aussi longuement : de sa stratégie de développement, aux attentats du 11 septembre, du rôle des Etats-Unis dans la mondialisation, au scandale de l'UMTS, Thierry Ehrmann nous parle librement et sans langue de bois.

Actuamedia : Le lancement du magazine Alors, consacré à la culture et à l'actualité, est un nouveau métier pour votre groupe, qui est plutôt axé sur l'agrégation et l'analyse des données. Quelles raisons vous ont conduit à cette démarche éditoriale ?

Thierry Ehrmann : Notre métier a toujours été d'agréger des grands flux d'informations, les interpréter, les analyser, créer une richesse et les livrer aux journalistes. Les fondamentaux de Serveur, qui est né dans les années 1985, sont ceux d'une agence d'informations primaires. Nous avons commencé avec un certain nombre de journalistes nous nous sommes très vite aperçus que la presse était un problème ruineux, parce que tout se décide à travers les ordonnances de 1945 et les tickets d'entrée sont donc très élevés. Nous avons très vite abandonné la presse que nous ne considérions pas comme notre métier. En revanche, nous avons cette capacité à agréger des grands flux d'informations que les journalistes n'ont pas forcément à leur disposition. J'ai pu constater que la presse ne sait pas agréger des banques de données très importantes. Alors est une parenthèse culturelle. Il se trouve que nous avons été présents dans un certain nombre de projets de presse, non pas pour avoir un outil industriel, mais plutôt pour favoriser une presse pluraliste. Alors était au départ un projet transversal lyonnais et parisien, et la réflexion a commencé il y a deux ans. Quang-Tri Trân Diêp, qui est à l'origine du projet, a su mettre en relation un certain nombre de personnalités comme Jean-Paul Kauffmann, Jean Rolin, Jacques Maigne, Paul Fournel, Eugène Durif, Pierre Sorgue, Michel Le Bris ou Luc Vachez.

Notre analyse de départ était que l'annonceur est aujourdhui roi dans bon nombre de rédactions et que, malheureusement, une autocensure se pratique dans les rédactions autour de l'annonceur. Je suis un important acheteur d'espace depuis 20 ans et j'en sais quelque chose ! J'ai d'ailleurs appris à tous les medias planners à acheter au feeling et à ne surtout pas se fier aux études de marché...

En tant qu'annonceur, j'ai toujours été sensible à certains facteurs. D'abord, j'estime que la presse doit être déconnectée de l'actualité (il est très difficile de suivre l'actualité, y compris pour les quotidiens). Je crois énormément aux mensuels parce que cela permet de faire un travail de fond, l'architecture financière est relativement souple et le fait de pouvoir laisser 10 000 ou 12 000 signes aux journalistes me semble essentiel. On se rapproche donc du journalisme d'auteur. La réflexion européenne doit également être au coeur
de la ligne rédactionnelle. Je crois énormément en l'Europe et nous avons mis le mot Europe dans les marques d'un certain nombre de nos sociétés il y a plus de 20 ans. Par exemple, l'un de mes premiers conflits en droit de propriété industrielle portait sur Europe Numérisen 1980 et nous étions à l'époque opposés à France Télécom.
Alors aura différentes couleurs et les papiers seront publiés dans deux à trois langues et dans leur langue originale. Sur le plan culturel, la culture offre des grilles de lecture que l'on ne peut pas donner à l'historien, au sociologue et à l'économiste. C'est intéressant parce que cela permet de
relancer des débats que les gens n'attendent pas. Enfin, il faut avoir des prétentions modestes.
Je pense qu'il existe un potentiel de 15 000 à 20 000 lecteurs pour un mensuel comme Alors. Nous allons faire un travail de découpage auprès des NMPP en sélectionnant seulement les maisons de presse qui nous intéressent. Nous avons trop vu de lancements à la Bertelsmann (qui ont le mérite de réussir…) mais il faut renouer avec une presse de qualité. Nous sommes d'une génération issue des fils d'informations en direct et il faut, face à cette utilisation de l'information en temps réel, renouer avec des mensuels avec lesquels on peut regarder le monde. Il y a aujourd'hui une place pour une presse mensuelle, qualitative et européenne. Le propre d'un mensuel est de pouvoir faire un chemin de fer sur trois ou quatre mois. Un mensuel est un produit que l'on garde en main, alors qu'un hebdomadaire est un journal qui est déjà dans une course effrénée. Quant au bimensuel, je n'y crois pas du tout : c'est bâtard, car c'est toujours trop tôt ou trop tard.

On entend souvent dire que depuis le 11 septembre dernier, la réflexion politique et culturelle ne peut plus être mise à l'écart de la réflexion économique. Le projet Alors est antérieur aux attentats intervenus aux Etats-Unis : aviez-vous déjà l'intention de fournir une grille de compréhension de la société à vos lecteurs ?

Je vous rejoins : on a longtemps cru que l'économie était une science à part. Tout est lié. On avait, dans les années 90, annoncé la fin de l'histoire. Aujourd'hui, plus que jamais, l'histoire est là. Il y a un avant et un après le 11 septembre, qui est pour moi l'événement le plus important de la modernité. Le 11 septembre est vraiment une rupture. Mais, comme toute rupture, il faut la décoder et en comprendre le sens.

Est-ce un choc des civilisations ? Je ne le sais pas. Je crois qu'il s'agit d'une guerre froide entre l'ancien et le nouveau monde. Je constate que l'Amérique était à bout de souffle, avec une récession consommée. Dans le même temps, l'unification de l'Europe constituait pour elle quelque chose d'abominable. Je parle de la véritable Europe, de l'Atlantique à l'Oural…

PATRIOTIC ACT: UNE LEGISLATION D'EXCEPTION

Vous n'avez pourtant pas la réputation d'être gaulliste…

Il est vrai que j'ai émis quelques sujets négatifs sur de Gaulle, mais j'ai fait un mea culpa quelques années plus tard. Cet homme était un grand visionnaire. J'étais la semaine dernière avec le numéro 3 de [...] [l'une des] plus grandes banques mondiales, qui a qualifié l'euro de "monkey money". C'est une vision très particulière.

Il faut également analyser le Patriot Act (ndlr : le Congrès des Etats-Unis a remodelé un projet de loi modifiant en profondeur la législation américaine en matière de lutte antiterroriste, notamment dans le domaine des communications et de l'Internet) : quels sont les pays occidentaux qui ont édifié de telles législations d'exception ?

Ce n'est pas parce que l'histoire s'emballe et que la grille de lecture peut paraître simple (Occident contre Islam) qu'il ne faut pas aller là où il n'y a pas forcément de lumière. Je ne suis pas anti-américain, je ne clame pas "US go home", mais je demande aux Américains d'être comptables de ces 20 dernières années. Quel peuple a armé autant de théâtres de guerre avec autant d'insouciance ? Les Anglais, qui n'ont pas la réputation d'être des saints, ont su décoloniser avec intelligence.

J'ai compris en 1991, au moment de l'affaire de l'Irak, que l'on commençait à péter les plombs. J'ai été scandalisé car le Koweït est un potentat artificiel créé en 1994 et seuls les gens comme Chevènement ou Bourdieu ont eu des positions sensées à cette époque. Claude Allègre, qui est parfois un garçon un peu agité, arrive à avoir des positions sensées. Il a écrit un jour au sujet de l'Amérique : depuis l'Empire romain, jamais une nation n'a eu une telle hégémonie sur le plan culturel, intellectuel, artistique et scientifique.
Vous savez par exemple que 90 % des flux Internet passent par le backbone de Washington. Si demain j'ai une banque de données dans le monde qui est contrefaite, je vais attaquer devant la cours fédérale de Washington parce que je sais que l'exécution du jugement fera que je gérerai 90 % des électrons du contrefacteurs.

Un homme politique expliquait récemment que face à un discours spirituel et empreint de nombreuses métaphores, nous n'avions que des préoccupations de Bourse et de consommateurs à opposer. Ne craignez-vous pas que l'on n'arrive finalement jamais à se comprendre ?

Absolument. On vous parle d'un camp A contre un camp B : il est évident que notre civilisation ne pourra s'en tirer que s'il y a un camp C qui s'appelle l'Europe. New-York a trop longtemps été le symbole du veau d'or. L'Europe a quelques milliers d'années de souffrances et de cicatrices et elle peut avoir un discours différent, face à une Amérique jeune et parfois insolente. L'Europe par le poids de sa croix, a cette capacité de comprendre un certain nombre de choses.
Lorsque j'entends Bush l'Amérique n'est plus une nation, mais une théocratie au même titre que l'Iran ! Le président américain parle d'Armageddon, du bien contre le mal, et je ne vois pas globalement où se situe le concept d'Etat nation laïc dans son discours. L'Europe a cette capacité d'arbitrer et de réussir là où l'Amérique a échoué; c'est-à-dire dans la fusion des civilisations. On dit que le melting pot américain est un succès : c'est faux car il y a eu de nombreuses émeutes, le taux d'incarcération est colossal et la violence est forte. Le modèle américain n'a pas prouvé, à l'exception de son économie, le bien fondé de son raisonnement. Et encore, il ne faut pas sublimer l'Amérique qui n'est qu'un marché intérieur de 250 millions d'individus. [..] [L'Europe est aujourd'hui le plus grand marché intérieur domestique avec plus de 350 millions d'individus et un réservoir fabuleux qu'est l'ouverture sur l'Europe de l'Est dont les pays du COMECOM.]

Dans une interview consacrée à Technikart vous soulignez la différence entre les protestants et les catholiques dans leur vision du monde. Or depuis le 11 septembre les intégristes islamiques font eux aussi cette différence. Finalement, n'utilisez-vous pas la technique du protestant pour servir les valeurs du catholique ?

Je comprends très bien ce que vous sous-entendez. Pour être clair, je combats le protestantisme anglo-saxon, mais pas le protestantisme allemand. Le protestantisme, qui a priori part d'une bonne chose, a retiré toute la chaleur du catholicisme. La rupture est effectivement de plus en plus nette entre le protestantisme anglo-saxon et le catholicisme de l'Europe du Sud. C'est une vraie rupture et une manière totalement différente d'appréhender la vie quotidienne. Le protestantisme essaie d'assimiler l'économie et le spirituel en même temps, mais il a finalement une prière très économique. C'est pénible. Mais c'est une expérience avec le temps.

Je défends davantage un catholicisme ardent et passionnel. On peut concilier l'économie tout en une culture d'entreprise. Une société ne fait qu'incarner ce que vous avez envie d'être. Il est important de se remettre en question régulièrement. Le groupe Serveur a acquis une identité culturelle forte. Pour preuve, les débats sont très violents depuis le 11 septembre. On a oublié les vrais débats et la défense des idées. Je suis souvent avec des analyses financiers et il m'est arrivé de leur dire qu'ils m'ennuyent parce que la Bourse, c'est avant tout 95% d'émotion humaine et 5% de résultats. La Bourse est un théâtre d'ombres de vie et de lumière.

Que pensez-vous de la diabolisation et estimez-vous qu'elle annihile tous les débats d'idées ?

Plus que jamais les débats existent depuis le 11 septembre.

Je vous demande de prendre avec une extrême précaution ce que je vais dire : le 11 septembre est une tragédie pour l'humanité parce que c'est 5 000 morts de trop. Mais dans tous les cas, plus que jamais, le débat est ouvert. On peut admettre que dans le 21ème siècle, dans lequel on estimait qu'il n'y avait que la pensée unique et le politiquement correct, on redécouvre le débat.

Vous présentez l'Europe comme un camp C : est-ce l'Europe des banquiers de Francfort ?

Absolument pas ! Je crois que c'est à nous d'inventer une autre Europe. Prenons l'exemple de l'Espagne, j'ai cru en ce pays et en ses valeurs à la sortie du franquisme. Aujourd'hui, l'Espagne est l'un des meilleurs élèves de l'Europe et j'ai connu ce pays quand les routes étaient encore en terre battue. Les Espagnols ont une très bonne approche de l'islam et ils ont d'excellentes relations avec tous ces pays. Il n'y aurait jamais eu de rupture de civilisation avec le monde islamique si l'Europe était au centre des débats. En revanche, cette rigueur américaine se situe dans une ligne de rupture totale avec l'islam.

Je ne vois pas avec la rigidité actuelle de Bush, accompagné de Blair, son va-t-en-guerre qui joue les procureurs de l'Occident, la moindre porte d'ouverture. Nos jeunes Américains doivent des vraies valeurs et ces valeurs se retrouvent dans le catholicisme.

Les valeurs que vous défendez ne sont-elles pas en contradiction avec les portraits de Mao et de Lenine que vous affichez dans votre bureau ?

Je possède près de 3 000 œuvres d'art et les gens voient ce qu'ils veulent voir. Je me suis intéressé à l'avant-garde chinoise et je soutiens depuis près de 10 ans les jeunes contemporains chinois. Je suis passionné par l'histoire chinoise et je crois que nous avons de vraies raisons d'avoir des craintes ou du respect pour l'entrée de la Chine dans l'OMC. Je vois mes banquiers français en adoration devant le dieu américain, mais je leur rappelle qu'il ne s'agit que d'un marché de 250 millions d'âmes. Il y a de vraies raisons de penser que la Chine sera l'un de nos principaux partenaires dans moins de 10 ans. C'est pour cette raison que j'ai soutenu des jeunes artistes contemporains chinois qui se situent dans un champ international et dans lequel les Américains se précipitent.
Je n'ai pas de fascination pour le marxisme et je dis simplement que c'est l'une des dernières utopies du 20ème siècle. C'est une utopie, au sens philosophique, et son interprétation a valu des génocides effroyables et des guerres civiles épouvantables. Pour autant, le néo-libéralisme à outrance est aussi une utopie et il vient de le prouver le 11 septembre.

La mondialisation constitue-t-elle le rideau final de ces siècles d'utopies déclinantes ?

Exactement et c'est pour cette raison que je suis pour l'anti-mondialisation. J'ai fait un énorme travail sur Gênes. Je pense que le 11 septembre et Gênes sont intimement liés. Quelque part, l'Amérique est une nation qui a une image très forte. L'image dépasse le réel. L'anti-mondialisation de Gênes constitue le démontage du mécanisme de la mondialisation. Depuis le 11septembre, si José Bové démontait un Mc Donald's, cela n'aurait plus de sens car l'Amérique est devenue une nation comme les autres. Elle a appris à souffrir, à pleurer et à se recueillir.

Que pensez-vous des propos de George Bush, qui a récemment expliqué qu'il ne comprend pas pourquoi il peut y avoir autant de haine pour les Etats-Unis dans le monde ?

Je suis de ceux qui disent qu'un seul homme peut sauver une nation. Contrairement à ce que l'on peut croire, Bush est un garçon très intelligent, mais il y a une psycho rigidité chez certains républicains américains. Le vrai problème des Américains est qu'ils pensent, avec sincérité, qu'ils ont imposé un système. Nous sommes, la France et l'Amérique, à deux siècles d'intervalle, les deux pays au monde à avoir tenté d'imposer un modèle reconnu. Depuis le siècle des Lumières, nous avons connu quelques déboires, dont deux guerres mondiales qui nous ont permis à notre place, l'Amérique non... L'Amérique est persuadée d'incarner la modernité et le progrès rime avec bonheur ? Pas forcément. je connais les gens d'ATTAC et les postulats sont loin d'être faux. Il y a à prendre et à laisser dans tout ce que dit ATTAC, notamment sur la taxe Tobin, mais les postulats sont loin d'être faux. Sur le plan juridique, il y a toujours des contrats unilatéraux avec l'Amérique. Le fait de normaliser les marchandises et les prestations de services pour qu'elles puissent librement circuler est acceptable. En revanche, le fond n'est pas aussi beau que ça. C'est pour cela que Bush entre dans un système, une pièce de jeu maîtresse en termes d'échecs, dans lequel le monde est noir ou blanc : si l'on n'est pas avec lui, on est contre lui. Ceux qui voit quelqu'un de réducteur se trompent, car il est très intelligent. Je crois qu'il a compris que l'Amérique était dans un péril philosophique et c'est la raison pour laquelle il a formalisé un système noir ou blanc. On peut également s'interroger sur ce pays qui a autant mis en images sa propre décadence. prenez par exemple le film "Les hommes d'influence" : ce que nous vivons est très proche. Tous mes propos ne sont pas des postulats, mais des ouvertures.

Vous estimez que le progrès ne fait pas le bonheur ? Passons-nous dans une société où, comme dans le film Matrix, le rejet des codes "petits bourgeois" va voler en éclats ?

Matrix est un film très intéressant et très symbolique. Nous abordons le 21ème siècle avec des vraies questions. Nous allons vivre le grand retour du monde des idées. Un jour, lors d'une réunion avec des analystes financiers anglais, je leur ai parlé pendant deux heures de l'humanité et des idées. Vous prononcez le mot bourgeois, mais j'ai énormément de difficultés à placer quelque chose derrière ce terme, qui peut signifier beaucoup de choses. C'est un peu comme les "bobos", un concept marketing qui s'effondrera très vite puisque personne ne sait sur quoi il repose.

Nos arrière-grands-parents utilisaient des mots très forts. Aujourd'hui, à force de policer le débat, on fait attention à ne pas employer de superlatifs, afin de ne choquer personne. La somme total d'un prospectus d'entrée en Bourse correspond à zéro. C'est vraiment l'école protestante anglo-saxonne de la crainte du moindre risque. Il faut renouer avec le risque et la critique.

Pour quelles raisons avez-vous pris comme symbole du groupe la salamandre, qui est un animal censé vivre dans le feu ?

La salamandre a été décrite merveilleusement par Saint Augustin dans ses écrits. Elle a été reprise dans la gnose chrétienne. C'est un animal que nous partageons avec l'Imprimerie du Roy, c'est-à-dire l'Imprimerie Nationale. Pour l'anecdote, un jour, je reçois une superbe assignation de l'Imprimerie du Roy qui possède le même emblème que nous. Je suis passionné par la propriété industrielle et nous étions les propriétaires de la salamandre dans le domaine de l'électronique et du numérique, alors qu'ils étaient propriétaires de la salamandre en classe 16, c'est-à-dire l'imprimerie. J'ai donc évoqué avec le Président de l'Imprimerie Nationale l'historique de la salamandre, qui est un animal qui survit à tout et qui, dans la gnose chrétienne, est le symbole de la résurrection et de l'éternité. En conclusion, l'Imprimerie du Roy nous a confié l'usage de la salamandre en classe 16 [pour nos éditions relatives au marché de l'art]* et nous leur avons donné l'utilisation dans les classes électroniques.

Vous avez soutenu Gérard Collomb lors de sa campagne pour l'élection municipale lyonnaise. Envisagez-vous d'aller plus loin ?

Je suis totalement apolitique. J'ai apprécié Lionel Jospin dans son discours d'Hourtin, qui était très visionnaire. Gérard Collomb est un vrai républicain et il incarne parfaitement la notion de gestion de la cité. Il a un vrai regard de "patron" d'une ville. Lyon, c'est 1,5 million d'habitants et 5 millions dans un rayon d'environ 5 kilomètres. Par ailleurs, le PIB de la région Rhône-Alpes est supérieur à celui de la région Ile-de-France lorsque l'on traite les établissements secondaires. Gérard Collomb a compris la nécessité de promouvoir l'Europe des régions, car nous sommes malades en France du jacobinisme et du centralisme. A l'heure de l'Internet, qui par nature est décentralisé, la centralisation n'est pas bonne chose à terme, surtout vis-à-vis de l'Europe.

Vous lancez Alors, mais n'allez-vous pas rapidement être frustré ? N'envisagez-vous pas d'aller plus loin, avec une station de radio ou une chaîne de télévision ?

Non. Le mensuel n'est que mensuel et il nous oblige à une certaine humilité. Nous ne sommes absolument pas ouverts aux médias audiovisuels. On peut avoir d'agréables surprises dans Alors et nous aurons de très grandes plumes qui ont marqué l'Europe et qui veulent renouer avec du journalisme d'auteur en évitant la dictature de l'annonceur. C'est sans doute pour cette raison que les annonceurs veulent tous venir, c'est peut-être le comble du snobisme...

Enfin, vous estimez que la crise des valeurs de l'Internet est liée à 98% à l'UMTS. Pour quelles raisons ?

L'UMTS est pour moi la plus grande escroquerie, au sens pénal du terme, qui ait jamais existé. Il y a une différence entre l'escroquerie, l'abus de confiance et la promesse décalée. L'UMTS est une escroquerie, car aucun laboratoire n'est capable de faire fonctionner l'UMTS tel qu'il a été défini par le législateur dans le cahier des charges. Quid des actionnaires et des fonds levés pour Orange ?

Dans le cadre de l'UMTS, on est dans une faisabilité scientifique puisque personne n'est capable, même au CNET (qui est le plus beau laboratoire au monde), de faire du véritable UMTS à 2 mégabits. On nous annonce péniblement que vers 2003 ou 2004, on saura faire de l'UMTS à 150 kilobits en station fixe dans certains quartier d'affaires... Il y a des des harmoniques entre les stations GSM et l'UMTS : il faudra donc tout remettre à plat pendant 10 ans. Il n'y a aucun modèle économique et aucune philosophies de contenus.

L'UMTS, c'est l'utopie mystique totalement suicidaire. On a appliqué à l'UMTS la même philosophie que pour le GSM. Mais on oublie que depuis un demi-siècle, le téléphone est un acte culturel et la mobilité était facile à acter

L'Internet est une culture et dans tous les cas, tant que les gens n'auront pas la compréhension culturelle de l'Internet, je ne les vois absolument pas aller vers de l'Internet sans fil. Dans les années 95, les opérateurs télécoms et les grands équipementiers ont cru qu'ils allaient pouvoir reproduire le merveilleux schéma du GSM sur l'Internet. Ils avaient simplement oublié la pratique culturelle...

En Europe l'effondrement des Bourses est la conséquence principalement de l'UMTS, l'effondrement des valeurs internet n'est qu'une infime goutte dans l'océan. Il n'y a pas dans l'histoire de l'humanité un media où l'on voit apparaître tous les jours un minimum de 900 000 nouveaux entrants ! Chaque jour, il se crée 100 millions de pages. C'est fascinant. Internet est une aventure fabuleuse et les jeunes gens de l'Internet se sont retrouvés laminés par le choc de l'UMTS, qui a entraîné l'effondrement des opérateurs de télécoms. Par ailleurs, en ce qui concerne France Télécom, le fait de vouloir mettre un frein à la déréglementation et à la boucle locale n'est pas une bonne chose, parce que l'Europe est en train de prendre du retard par rapport aux Etats-Unis. C'est un problème que nos enfants nous reprocheront dans quelques années.

Propos recueillis par Yannick Urrien.
copyright ©2001 Actuamedia

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